Quand les jumelles Amy et Jennifer Hood ont dû trouver un nom pour l’agence de design graphique, elles se sont amusées avec le mot yiddish chutzpah, qui exprime l’admiration envers une forme d’audace non-conformiste.

Un nom qui leur va d’ailleurs comme un gant.

C’est un branding personnel maîtrisé et une ténacité sans faille qui ont permis aux sœurs Hood de développer leur entreprise. De la réalisation de logos et d’illustrations pour des proches, Hoodzpah est devenu un atelier de design ultra-prisé, comptant parmi ses clients des marques prestigieuses et affichant un agenda complet sur plusieurs mois. 

« Nous avons grandi avec notre mère et notre grand-mère, qui ont toujours eu leur propre entreprise. Chaque fois que nous avions envie de faire quelque chose, elles nous disaient : “OK, allez-y, lancez-vous” », raconte Amy.

Un conseil que les deux sœurs ont pris très à cœur. Alors, quand le magazine où elles effectuaient un stage a soudainement mis la clé sous la porte et que les autres recruteurs refusaient de leur donner une chance, faute de diplôme universitaire, Amy et Jennifer Hood ont tout simplement suivi l’exemple et le conseil qu’elles avaient eus : elles se sont lancées et ont créé leur propre entreprise.

« Nous avons recontacté toutes les personnes qui avaient sollicité nos services en leur disant qu’on montait notre propre affaire, se souvient Amy. Nous avons commencé à travailler sur des projets avec tous nos amis qui réalisaient des choses sympas, et nous en avons fait une promotion très active. »

Les deux sœurs ont cherché conseil partout, que ce soit auprès d’autres designers ou d’amis experts des questions financières, pour savoir comment développer leurs compétences et leur activité. Elles ont participé à des évènements pour rencontrer d’autres artistes et professionnels, et elles se sont plongées dans Instagram, Twitter et les autres réseaux sociaux, jusqu’à devenir des as du hashtag. « L’idée était de faire partie de la communauté et ne pas rester assises à la maison en espérant que ça marche et que les clients nous trouvent et nous appellent. »

Soucieuse d’étoffer leur portfolio, elle n’ont refusé aucun projet, pas même ceux qui étaient mal payés. « Au début, nous ne gagnions pas beaucoup, mais nous étions jeunes et motivées, et c’était amusant », indique Amy.

Pour éviter de devoir accepter des tarifs trop bas ad vitam æternam, les sœurs Hood indiquaient à leurs premiers clients (des proches pour la plupart) qu’elles leur faisaient un prix (sans donner de détails) et que s’ils aimaient leur travail, une recommandation serait la bienvenue. « C’est amusant : deux ou trois clients satisfaits et vous gagnez une bonne réputation grâce à quelques personnes clés, qui veulent vous recommander, poursuit Amy. Tout le monde veut être à l’origine de l’entremise. Je crois que nous avons commencé à facturer à des tarifs convenables à partir de la troisième année. »

« L’idée était de faire partie de la communauté et ne pas rester assises à la maison en espérant que ça marche et que les clients nous trouvent et nous appellent. » — Amy Hood 

Après neuf ans d’existence, Hoodzpah s’est constitué une belle clientèle, incluant de grandes marques comme Red Bull et 20th Century Fox, mais aussi de nouvelles sociétés qui cherchent à bâtir une identité cohérente de A à Z. Le duo a créé le branding de clients très variés, allant d’une brasserie locale à un fournisseur d’énergie, en passant par un service qui transforme les cendres des défunts en diamants commémoratifs.

« C’est génial de pouvoir travailler avec des acteurs de différents secteurs d’activité, car vous ne restez pas cloisonné, indique Jennifer. C’est une nouvelle immersion avec chaque nouveau client. » Définir un message pour la première fois n’est pas toujours évident. Il faut parfois expliquer des concepts totalement inédits, voire assez déconcertants, comme dans le cas des diamants faits à partir des cendres des défunts. « Depuis toujours, nous adorons expliquer des choses complexes en y ajoutant une touche d’humour pour rendre le message ludique, amusant et attrayant. »

S’il y a assez de demande pour justifier un développement de l’entreprise, le duo préfère néanmoins conserver une structure à taille humaine pour se concentrer sur la création et ne pas avoir à gérer des bureaux remplis de créatifs.

« Rester à taille humaine ne porte pas préjudice à notre activité, estime Jennifer. Nous pouvons encore améliorer notre marge bénéficiaire si nous continuons à valoriser notre nom pour devenir un service restreint ultra-prisé. »

Cela passe par une sélection des clients et des projets. Avec un nombre d’heures limité dans une journée, tout est question d’équilibre. Le but est d’avoir un volume suffisant de projets intéressants qui stimulent les compétences, sans crouler sous le travail ou les demandes des futurs clients. Beaucoup de créatifs vous le diront : il est difficile de dire non à des projets lucratifs. Pour Jennifer, au lieu de décliner une demande, mieux vaut expliquer au client que vous êtes pris pour le moment, mais que vous lui réservez une date sur votre agenda. « Vous ne dites pas non, mais bientôt. Et les clients se disent parfois : “Oh mon dieu, il faut réserver sans attendre sinon, dans deux mois, elles ne seront à nouveau plus disponibles.” Très souvent, nous planifions les projets un mois et demi, voire deux mois, à l’avance. »

Pour susciter des demandes qui leur correspondent, les deux designers travaillent la marque Hoodzpah aussi méticuleusement qu’elles le feraient pour leurs clients.

« Nous essayons de ne pas être cataloguées, explique Jennifer. Au début, on nous voyait souvent comme “les filles qui dessinent des lettrages”, et nous n’avions pas envie de cela. Nous voulions être considérées comme des designers de marque dignes de ce nom. Il nous fallait donc revoir notre positionnement. Nous avons consciencieusement supprimé (de notre site web) toutes les créations que nous n’avions plus envie de réitérer, puis nous avons élaboré des études de cas pour montrer l’identité visuelle comme un tout. »

Se rendant compte que beaucoup de clients leur demandaient uniquement des logos, Amy et Jennifer Hood ont commencé à leur proposer des packs contenant tous les éléments de l’identité de marque pour un prix légèrement supérieur, dont il aurait été dommage de se priver. Elles ont ensuite fait la promotion de ces packs sur leur site web pour attirer de nouveaux clients.

« C’est étrange, commente Jennifer. Vous présentez votre produit, puis les gens arrivent et vous disent : “Il me faut la même chose. J’ai besoin de tous les éléments graphiques, pas uniquement du logo.” Précisément parce qu’il y avait autre chose que des logos sur notre site. »

« Nous avons pris conscience que quand on ne voit pas les choses, on ne peut pas vraiment les imaginer », ajoute Amy.

S’agissant des marchés avec lesquels elles n’avaient encore jamais travaillé, les sœurs Hood ont réalisé des projets internes pour présenter l’éventail de leurs talents. Par exemple, pour les besoins en packaging, elles ont créé une branche Accessoires baptisée Odds and Sods, possédant son propre packaging personnalisé. « Nous réfléchissons sans cesse à des cadeaux ou des projets amusants à créer pour que notre marque soit remarquée par des entreprises ou des secteurs avec lesquels nous avons envie de travailler, poursuit Amy. Il faut y consacrer le temps si vous voulez être payé à faire le travail de vos rêves. »

 

Téléchargement gratuit : « How to Calculate Your Hourly Rate » (comment calculer votre tarif horaire)

 

Dans leur ouvrage Freelance, and Business, and Stuff, les sœurs Hood livrent une foule d’informations utiles et pratiques. Cette fiche téléchargeable est tirée du chapitre « Pricing and Proposals » (tarifs et propositions).

Télécharger la fiche

IParallèlement aux projets qu’elles réalisent pour leurs clients, les deux sœurs créent des polices personnalisées (qu’Amy conçoit dans Adobe Illustrator), mais aussi des illustrations et des templates à télécharger pour les présentations client. Elles proposent également un ouvrage autoédité, intitulé Freelance, and Business, and Stuff, qui regorge de conseils aguerris sur la gestion d’entreprise pour les designers indépendants.

Grâce à leurs projets internes, Amy et Jennifer peuvent définir la marque Hoodzpah avec une liberté que n’offrent généralement pas les projets clients. Elles s’attachent à respecter une certaine cohérence dans les palettes de couleurs, les polices et le style d’illustration à travers leurs projets de création personnels.  

« La cohérence des créations vous confère un certain style qui vous rend unique et aide les gens à se souvenir de vous », explique Amy. La cohérence aide aussi les clients à mieux cerner ce que vous avez à leur offrir. « En vous spécialisant, vous obtenez de meilleurs résultats. Vous ne faites pas un peu de tout, en mode industriel ; vous êtes le restaurant italien qui fait le meilleur sandwich aux boulettes de viande de toute la Californie du Sud. Vous montrez au monde que vous êtes un expert, que vous connaissez votre métier sur le bout des doigts. »

Apprenez avec les sœurs Hood.

Dans ce tutoriel textuel et vidéo, les jumelles Hood vous montrent comment créer une pochette d’album dans Adobe Illustrator.

Découvrir le tutoriel

Pour garantir la cohérence de la marque interne, l’équipe utilise une bibliothèque Creative Cloud regroupant toutes les ressources Hoodzpah : palettes de couleurs, logos et toutes leurs variantes, polices et effets de texture. « Tout est là, à disposition, indique Amy. C’est cette cohérence qui va marquer les esprits. On commence à entendre : “Ah, c’est le style Hoodzpah.” »

L’organisation est l'une des clés de leur réussite, explique Amy, qui avoue être légèrement obsédée avec les systèmes de gestion des fichiers et des ressources de l’entreprise. Quand votre temps est précieux, chercher un fichier partout ou parcourir des tas de nuanciers revient à le gaspiller. En organisant et en centralisant tout, l’équipe peut accéder à un projet et travailler dessus. « Si vous voulez acquérir un avantage concurrentiel, vous devez être organisé et ponctuel. Vous n’en reviendrez pas du nombre de projets qu’on vous confiera et de la vitesse à laquelle vous gagnerez des places dans la course. »

Autre secret de la réussite des sœurs Hood : d’excellentes compétences en communication. « Votre travail peut être formidable, mais si vous ne savez pas le présenter et vendre vos idées, vous n’aurez pas de clients », souligne Amy. Souvent, pour obtenir un « oui », il faut expliquer tout le processus de réflexion et de création, et ne pas se limiter à présenter un design final. Pour guider les clients, l’équipe utilise des présentations créées dans Adobe InDesign. « Chaque épreuve est envoyée aux clients, avec qui nous avons des échanges très réguliers ; nous voulons qu’ils suivent chaque étape, ajoute Jennifer. De cette façon, nous n’arrivons pas à la fin pour nous entendre dire : “Ça ne nous plaît pas.” »

Le duo conseille aux jeunes designers qui souhaitent se lancer de partager leur travail le plus souvent possible, même si celui-ci n’est pas parfait. « Nous sommes nombreux à penser “Je ne suis pas encore assez bon”, affirme Jennifer. Mais si demain vous postez l’une de vos créations soi-disant médiocres, je parie que dix personnes vont, au contraire, la trouver absolument géniale. Vous montrez aux gens que vous existez, que vous créez et que vous pourriez probablement les aider à l’avenir. »

« Vous ne faites pas un peu de tout, en mode industriel ; vous êtes le restaurant italien qui fait le meilleur sandwich aux boulettes de viande de toute la Californie du Sud. Vous montrez au monde que vous êtes un expert, que vous connaissez votre métier sur le bout des doigts. — Amy Hood